top of page

Portraits d'éducateur

PORTRAIT N°1

SAINT JEAN-BAPTISTE DE LA SALLE ET L’ÉDUCATION LASSALIENNE

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est fréquent de citer Don Bosco et plus largement l’éducation salésienne comme un exemple d’équilibre entre exigence et bienveillance. En effet, dans les milieux éducatifs, quelle que soit la sensibilité pédagogique, la figure de l’éducateur de Turin représente comme un idéal éducatif pour la société contemporaine. Certes, nos rues et nos quartiers ont peut-être désormais quelques ressemblances avec l’état de déshérence de la jeunesse dans la vie urbaine XIXème siècle italien. 

Il est beaucoup plus rare d’entendre citer saint Jean-Baptiste de la Salle et la pédagogie lassalienne. Pourtant il serait judicieux de s’intéresser à l’actualité de l’intuition fondatrice des frères des écoles chrétiennes : former des maîtres exemplaires pour fonder des écoles dans lesquelles on éduque intégralement les enfants dans la perspective de leur fin la plus haute. 

 

Né en 1651, Jean-Baptiste de la Salle a grandi à Reims. Le désir du sacerdoce le conduit très tôt à recevoir la tonsure et à devenir Chanoine de la cathédrale. Après avoir perdu ses deux parents à l’âge de 20 ans, il poursuivra ses études au séminaire de St-Sulpice et sera ordonné prêtre à l’âge de 27 ans. Des rencontres décisives avec le chanoine Roland, l'éducateur Adrien Nyel, le père Nicolas Barré, religieux minime qui oeuvre pour l'éducation des enfants pauvres et établit une communauté de maîtresses des Écoles Charitables du Saint Enfant Jésus,  ou encore le soutien total de l’archevêque de Reims, Mgr Charles Maurice Le Tellier, vont orienter de manière décisive son engagement éducatif qui aboutira à la création d’école gratuite pour garçons.

 

À cette époque les institutions scolaires sont jésuites ou oratoriennes, mais elles concernent des enfants qui ne sont pas indispensables pour la vie économique de la famille. C’est Louis XIV, en 1698, qui va décréter l’obligation de scolarité pour tous les enfants de moins de 14 ans. C’est ainsi qu’entre 1699 et 1710, les frères des écoles chrétiennes vont fonder de nombreuses écoles dans la France entière : Calais, Troyes, Avignon, Dijon, Paris, Marseille, Rouen, Grenoble, Saint-Denis, Versailles, mais aussi Rome, sont autant d’institutions scolaires dirigées par les frères de saint Jean-Baptiste de la Salle. 

Pour chacune de ces fondations, les frères des écoles chrétiennes répondaient à un appel pour venir enseigner et éduquer. Mais le sage fondateur des lassaliens avait défini quelques conditions pour répondre favorablement à chaque demande : que les maîtres soient formés préalablement de manière à être exemplaires des principes éducatifs et spirituels. En effet, le but que s’était donné le saint éducateur de Reims, était ambitieux. Cela nécessite une vraie préparation dans la formation de l’intelligence mais aussi des manières, des gestes, des paroles et enfin, et cela est le principal pour le fondateur des lassaliens, la spiritualité. 

 

C’est ainsi que l’on peut lire dans les méditations ce que dit saint Jean-Baptiste du but même de l’Institut des frères : « La fin de cet Institut est de donner une éducation chrétienne aux enfants, et c’est pour ce sujet qu’on y tient les écoles afin que les enfants y étant sous la conduite des maîtres depuis le matin jusqu’au soir, ces maitres leur puissent apprendre à bien vivre en les instruisant des mystères de notre sainte religion en leur inspirant les maximes chrétiennes, et ainsi leur donner l’éducation qui leur convient. »[1]

 

L’éducation qu’il convient est une éducation tout animée de bienséance et de civilité. Et le saint patron des éducateurs s’étonne que ses contemporains ne comprennent pas l’enjeu spirituel d’une telle attitude : 

« C’est une chose surprenante que la plupart des chrétiens ne regarde la bienséance et la civilité que comme une qualité purement humaine et mondaine, et que, ne pensant pas à élever leur esprit plus haut, il ne la considère pas comme une vertu qui a rapport à Dieu, au prochain est à nous-mêmes. C’est ce qui fait bien connaître le peu de christianisme qu’il y a dans le monde, et combien il y a peu de personnes qui y vivent et se conduisent selon l’esprit de Jésus-Christ. » 

 

Mais, à une époque où l’importance de l’esthétique dans la tenue et les manières pouvait laisser penser qu’il suffisait d’avoir les apparences de la vertu pour être un bon exemple, Jean-Baptiste de La Salle n’hésita pas à insister sur la force de l’exemple et le devoir de cohérence de ses frères éducateurs. 

« Voulez-vous que vos disciples pratiquent le bien ? Faites-le vous-mêmes : vous les persuaderez beaucoup mieux par l’exemple d’une conduite sage et modeste, que par toutes les paroles que vous pourrez leur dire. Voulez-vous qu’il garde le silence ? Gardez-le vous-mêmes. Vous ne les rendrez pas modestes et retenus qu’autant que vous le serez vous-mêmes. » 

 

Jean-Baptiste de La Salle reviendra très souvent dans ses enseignements sur la question essentielle de l’exemplarité des éducateurs. Son génie fut principalement de penser la formation des maîtres avant celle des enfants. Ses écrits concernant la conduite des écoles sont édifiants de précision et d’exigence concernant le déroulement de la journée scolaire des enfants, depuis leur arrivée le matin dans l’école jusqu’au soir à leur retour à la maison. Rien n’est laissé au hasard, tout est important, aucun geste n’est anodin quand il s’agit d’éducation. 

 

« L’exemple fait beaucoup plus d’impression sur l’esprit et sur le cœur, que non pas les paroles, principalement sur celui des enfants qui, n’ayant pas encore l’esprit assez capable de réflexion, se forme ordinairement sur l’exemple de leurs maîtres, se portant plus à faire ce qu’ils leur voient faire que ce qu’ils leur entendent dire, surtout lorsque leurs paroles ne sont pas conformes à leurs actions. » Voilà une analyse simple et réaliste dont nous pourrions tirer un grand profit pour retrouver le chemin d’une éducation chrétienne intégrale. L’enfant n’obéit pas, il imite ! Certains pédopsychiatres semblent redécouvrir ce principe de bon sens en théorisant désormais sur le mimétisme de l’enfant de la période néonatale jusqu’au développement de l’âge de raison. 

 

Mais, comme tous les fondateurs des grandes congrégations enseignantes, Saint Jean-Baptiste de La Salle, considère avant tout sa mission comme une œuvre de charité dont le but se trouve dans le Ciel et le fondement dans la foi. C’est ainsi qu’il l’exprime : « L’esprit de notre Institut est donc premièrement un esprit de foi qui doit engager ceux qui le forment à l’envisager rien que par les yeux de la foi, à ne rien faire que dans la vue de Dieu et à attribuer tout à Dieu (...). »  Alors on peut légitimement se demander pourquoi le prêtre Jean-Baptiste de La Salle n’a pas souhaité que ses frères épousent le sacerdoce. En effet, les religieux des frères des écoles chrétiennes sont entièrement donnés à la mission éducative, considérée comme un service de charité, comme un ministère à part-entière, comme un engagement qui nécessite de donner tout son temps et tout son cœur quotidiennement aux enfants qui leur sont confiées. 

 

Le pape Pie XII, quand il déclara le 15 mai 1950 Saint Jean-Baptiste de La Salle patron universel des professeurs et des éducateurs, insista sur la beauté de ce choix : « ce pionnier de l’éducation fit tant de cas de la profession d’instituteur qu’il ne voulut pas que les religieux dont il était le Père, fussent élevés au sacerdoce, de peur qu’ils ne se détournassent de l’enseignement, convaincu qu’il était que cette fonction est un moyen très efficace pour progresser dans la vertu et atteindre à la sainteté. »

 

[1] Saint Jean-Baptiste de la Salle - Méditation pour le temps de retraite n° 194, 1,2

bottom of page